« DE L’ECTOPLASME DE MOTS MORTS. »
UN ENTRETIEN MAL ENTRETENU AVEC ANTHELME HAUCHECORNE
(CONTEUR D’HISTOIRES DÉBILES POUR LECTEURS MÉCHANTS)
REALISÉ PAR MATHILDA PRZYMENSKA
1 – Ton entourage t’inspire-t-il lorsque tu écris ?
Absolument. Surtout les araignées, les cancrelats et autres colocataires rampants qui peuplent le garage où j’ai aménagé mon bureau. L’environnement importe tant en matière d’écriture. Le mien se compose d’une bibliothèque aux volumes poussiéreux et d’une accumulation de tasses de café froid, dont le contenu vaseux nourrit toute une faune lilliputienne.
J’aime la vie. Au point de lui consacrer une partie de mon espace de travail. Le spectacle d’une larve de moustique nageant la brasse recèle une candeur quasi enfantine.
Il y a quelque chose de très humain, chez les insectes. Leur vitesse de reproduction, peut-être. Ou leur obsession à coloniser le moindre centimètre carré d’espace, à grignoter la moindre miette de bectance. Je m’inspire d’eux pour mes personnages.
2- Quels sont tes auteurs favoris ?
Les masochistes. Les écorchés vifs, celles et ceux qui s’obstinent à produire du neuf et du fougueux, quand les rayonnages des libraires ploient sous les immondices sans âme.
J’admire les « grands malades », de ma part c’est élogieux. Difficile d’en dresser une liste exhaustive, je ne voudrais pas donner l’impression de les dénoncer. Je citerai au moins : Yal Ayerdhal, Alain Damasio, Jérôme Noirez, Xavier Mauméjean, Catherine Dufour, Johan Heliot, feu Robert Wagner, Jean-Marc Ligny, Jeanne-A Debats, Mathieu Gaborit…
Si cette existence semble moins grise, ils y sont pour beaucoup.
3 – Combien de temps consacres-tu à l’écriture quotidiennement ?
Deux heures minimum, dans les transports en commun. Chaque jour dans le métro, je m’adonne à un numéro passablement rôdé d’autisme. Le nez dans mon smartphone, mes verrues collées à l’écran, j’exorcise les horreurs qui me hantent l’esprit.
L’inspiration ne me manque jamais lorsque je fonce à cent à l’heure, dans les boyaux du grand ver urbain de métal. La faute sans doute aux effluves d’aisselles mal lavées, aux senteurs de pieds et de boustifaille, aux vitres embuées par les haleines, dégoulinantes d’un condensat de respirations emmêlées, moites d’ectoplasmes de mots morts non prononcés.
Je suis l’interprète de ces spectres de phrases. Leur médium. Leur shaman.
J’écoute ce silence gêné, pesant, seulement ponctué de quintes de toux, de reniflements et de pets étranglés. Après cinq minutes dans le métro, chacun rêve d’être ailleurs. Moi y compris. Aussi je m’évade, mon écran tactile devient mon ticket de sortie. Mon passeport pour l’imaginaire. J’arpente mes univers pour fuir la promiscuité.
Ensuite, il y a les vacances.
Quand cesse l’impérieuse nécessité d’emprunter le métro chaque matin, je m’adonne alors aux joies de la bronzette d’intérieur. Je pratique les U.V. Microsoft devant mon écran, jusqu’à quinze heures par jour. J’arbore fièrement mon teint de rat de bureau, savant mélange de blanc et de bistre, soigneusement entretenu par une exposition minimale aux rayons du soleil. Pouah : cette saleté est sûrement cancérigène.
4 – Qu’est-ce qui t’aide à développer ton imagination ?
Les ornithorynques. Preuve que l’Évolution a le sens de l’humour.
5 – Pourrais-tu résumer ton style littéraire en un mot ?
Abracadavérique.
6 – Comment est née ta passion pour l’imaginaire ?
Certains auteurs trouvent leur muse dans les psychotropes. La mienne a une prédilection pour les analgésiques. Ma muse s’appelle « péritonite », nous nous sommes rencontrés elle et moi tandis qu’elle me gangrenait les intestins. J’aurais dû deviner que notre relation mènerait droit au désastre. Nous avons convolé en voyage de noces pour une hospitalisation de deux semaines, avant de nous séparer bons amis. Elle dans un bocal de formol, moi délesté de quelques centimètres de tripaille superfétatoire.
C’est au cours de cette même hospitalisation que j’ai contracté une infection nosocomiale : celle de l’écriture. Contre celle-ci, point de cure, le seul remède c’est d’y succomber.
Depuis, je n’ai jamais cessé d’étaler ma logorrhée sur papier.
J’ai rédigé une petite cinquantaine de nouvelles. Puis un premier roman, La Tour des illusions, d’abord repéré par les Éditions de l’Atelier de Presse puis, pour sa réédition poche remaniée, par les Éditions Lokomodo.
C’est maintenant au tour de mes textes courts de sortir de leurs tiroirs, où ils croupissaient depuis quelques années. Tels des cadavres qu’il m’a fallu exhumer à coups de plume, pour donner corps à mon premier cercueil de nouvelles, Baroque’n’roll.
7 – As-tu trouvé ton propre style ou est-il inspiré de plusieurs auteurs que tu aimes ?
Les responsabilités restent partagées quant à l’état de délabrement mental qui est le mien. Les auteurs cités plus haut en ont leur part, très certainement. Leurs écrits ont fait des nœuds dans ma tête, mais pas seulement.
Les jeux de rôles sont à blâmer tout autant. Des chefs-d’œuvre tels que L’Appel de Cthulhu, Kult ou In Nomine Satanis / Magna Veritas m’ont donné goût aux univers bigarrés et tortueux.
La musique est coupable, elle aussi. Elle me suit, elle coule dans l’encre de mes mots. Opeth, Porcupine Tree, Steven Wilson, Storm Corrosion, Tiamat… Là encore, la liste semble interminable.
Coupables enfin des comics tels que Sandman, Preacher, Transmetropolitan, V pour Vendetta, Watchmen…
8 – Quel est ton personnage littéraire préféré, tous genres confondus ?
J’avoue mon admiration pour Samuel Vimaire, l’ombrageux Commissaire Divisionnaire d’Ankh-Morpork, épicentre du Disque-monde de Terry Pratchett. Un concentré sur pattes d’humour décapant, de cynisme acéré et de fierté prolétaire.
Un brave homme, assurément.
9 – Un rêve littéraire ?
Écrire jusqu’à vider mon crâne de l’épanchement d’imaginaire qui s’y développe à une vitesse exponentielle, telle une tumeur maligne qu’il me faudrait opérer à la plume.
10 – Quels sont tes projets pour la suite ?
S’il est des lecteurs/trices que Baroque ’n’ Roll a laissé sur leur faim, qu’ils se rassurent, et qu’ils aiguisent leur appétit. Car 2013 sera l’occasion de leur servir un gueuleton gastronomique, pour qui sait apprécier la cuisine grandguignolesque. Deux parutions figurent au menu, pas moins. Tout d’abord Âmes de verre (premier semestre 2013) devrait rassasier même les plus gloutons. Plénitude gastrique à l’horizon. Il s’agit d’un roman né à l’ombre des légendes urbaines. Deux héros improbables, un enseignant amer et une punk portée sur l’ultraviolence, s’égarent de l’autre côté des Portes de la Perception, sur le versant sombre de la Réalité. Leur don et leur malédiction s’appelle la Vue, sixième sens mystérieux, qui les confronte à des ennemis insoupçonnés. Déjà, les meurtres se succèdent, sacrifices destinés à recomposer la partition d’une musique d’épouvante… Âmes de verre est un pass backstage pour les coulisses d’un univers halluciné, hallucinant, fusion de mes passions pour la musique, l’occulte et la mythologie celte, à la croisée de Clive Barker et de Neil Gaiman (Neverwhere).
Ensuite, mon cimetière de nouvelles s’enorgueillira d’une nouvelle tombe. Punk’s not Dead (Cercueil de nouvelles / 2) sera inhumé en grandes pompes, et chez tous les libraires, au cours du second semestre 2013. N’hésitez pas à nous rejoindre pour les obsèques. Déjà trois nouvelles de ce futur recueil ont été primées (Prix « Bienvenue sur Mars » pour No future ou l’Apocalypse selon Johnny Rotten, Prix « Parentis » pour Voodoo doll, Prix « Alain le Bussy » (2ème) pour Sarabande mécanique).
D’autres projets moisissent dans mes tiroirs, des romans, où il est question notamment de zombis français polis qui ne rotent pas à table et mangent avec des couverts (Frenchie Zombies), d’enfants orpailleurs de cendres dans une Budapest ravagée (RêvesCendres) et d’un road trip funèbre dans une Russie rouge sang, à la botte de vampires communistes (Octobre Rouille). Les vers œuvrent en silence, patience, bientôt ces cadavres exquis seront faisandés à point.
Pour suivre leur lente décomposition, une seule adresse :
http://hauchecorne.populus.ch/
En exclusivité, des images de son prochain livre !
Merci Anthelme ! 🙂